À l’occasion du 60ᵉ anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l’exposition « Algérie mon amour » à l’IMA (Institut du Monde Arabe) met la liberté à l’honneur dans une somptueuse mini exposition (36 œuvres et 18 artistes) d’art contemporain.
Il paraît que l’art consiste à sublimer.
Que, de façon consciente, parfois pas, l’artiste, par un mystérieux acte de magie qu’on appelle vulgairement « talent », sait transposer un événement en quelque chose d’extrêmement fort ; de sublime. Certes. Ne pourrions-nous pas aussi dire, simplement, que les artistes trouvent des moyens transcendants d’exprimer une réalité, de dire ?
Abdallah Benanteur incarnerait alors par exemple la réalité d’un peuple qui a vu son statut réduit à celui d’indigène par l’administration coloniale française, sa culture niée, vécu le déracinement. Créateur issu de la diaspora algérienne, il peint le Hoggar en 1960.
À travers le mince réseau de nervures et de craquelures enchevêtrées sur fond de couleurs désertique, il fait entendre les voix qui, pendant des décennies, se sont tues.
« Algérie mon amour est un chant de la douleur de la terre et du peuple algérien colonisés et martyrisés, le chant de la culture et de l’identité algériennes niées et déracinées. »
Claude Leman, commissaire de l’exposition
La mère et M’hamed Issiakhem, est quant à elle une huile sur toile aux tonalités sombres, peinte vers 1965.
Elle est issue de l’exposition « maternité » menée par l’artiste dans la dernière partie de sa vie. C’est une autre parole qui est ici restituée : celle d’une héroïne universelle, femme porteuse de vie autant que d’une insondable douleur, bouche effacée par l’impossibilité de dire.
M’hamed Issiakhem lui rend ici sa voix.
« C’est aussi le chant de la liberté et de l’espoir, du renouveau de la créativité artistique et littéraire et l’annonce d’une renaissance, nécessaire et tant attendue. »
Ajoute Claude Leman
Celle de Baya, autre artiste emblématique de l’exposition « Algérie mon amour » à l’IMA , fut d’abord révélée par une riche propriétaire exilée en Algérie à cause de la guerre, Marguerite Caminat. La femme prend l’orpheline sous son aile.
A 11 ans, par le biais de sa protectrice, Baya commence à côtoyer des mondain.e.s. Elle en peint d’apparentes naïves représentations.
En 1947, le galeriste Aimé Maeght lui permet de donner sa première exposition. Baya éblouit ses nouveaux pairs. Légitimée par de grands personnages tutélaires, elle devient très vite une sorte d’égérie connue, reconnue, commentée et analysée avec un œil souvent paternaliste et empreint d’orientalisme. Après tout, comment une orpheline prétendument analphabète sauvée de la misère pourrait avoir quelque chose d’intelligent à dire ?
En 1962, après dix ans d’ombre, un mariage pas forcément choisi et six enfants, Baya revient. Musique est l’illustration de la plénitude de son art, la preuve —s’il en fallait— qu’elle est une des plus grandes artistes de sa génération ; celle qui, grâce à la faculté folle à tout transcender, dit, dit ce qu’elle veut.
Que dit le travail de Souhila Bel Bahar ?
D’elle, on raconte en tout cas qu’elle s’est beaucoup inspirée de Baya.
L’artiste autodidacte est issue d’une famille de brodeurs. Elle entame la peinture à 17 ans, mettant de sa formation textile dans les fils d’or de ses toiles et puisant aussi son inspiration de chefs-d’œuvre d’artistes occidentaux : Delacroix, Renoir, Picasso.
Femmes d’Alger d’après Delacroix est une magnifique ritournelle de formes féminines ondulantes et colorées. En apparence, ses couleurs éclatantes évoquent une joyeuse liberté. À y regarder de plus près, les volutes de fumée blanches nimbent pourtant l’image d’un voile inquiétant. Ce déséquilibre évoquerait-il la fragilité ?
Il célèbrerait peut-être aussi l’instant d’après, celui où, avec une qualité que l’on nomme vulgairement « talent », on dit, enfin. L’exposition Algérie mon amour à l’IMA en est un exemple parfait.
Algérie mon amour, Artistes de la fraternité algérienne 1953-2021
Du 18 mars 2022 au 31 juillet 2022
IMA, Institut du Monde Arabe
1, rue des Fossés Saint-Bernard – Paris 5e
Du mardi au dimanche de 10h à 18h (19h samedi – dimanche et jours fériés)
À partir de 6 euros
Réservations