La nuit avant les forêts au Théâtre de La croisée des chemins

Un céleste clochard nous fait partager ses pérégrinations mentales dans un flot discontinu de poésie, et c’est beau.

Dans un décor décharné —bouteilles vides, radio et poubelles pleines—, l’homme surgit pour nous plonger dans la pièce « La nuit avant les forêts » au Théâtre de La Croisée des Chemins, à Belleville.

Sous la lumière du réverbère, il est sale, vindicatif, bruyant. Quand il le croise, le passant le contourne. De loin parfois il lui jette des pièces, un regard fuyant. Il est de ceux qu’il ne veut pas voir. Pourtant, lui, l’étranger sorti des décombres, va l’interpeller pour dire ce qu’est sa vie ici, dans sa chambre habituelle, celle où il vit, avec toutes ses habitudes, celle de laquelle il sent cette saloperie de pluie, tout le temps, et ce qu’il ferait d’une vieille chaumière, s’il en avait une, de ses odeurs de famille, de vieilles pierres et de bois noir, et ce que c’est, de se tenir dos au vent pour ne pas avoir perdu ses moyens lorsqu’on aborde la fille aux cheveux blonds, juste assez blonds pour qu’on y croit, cheveux bouclés, bouclés un peu mais pas trop, de toute manière qu’importe, il ne restera pas, il n’est pas de ceux qui s’attachent, et il a l’envie de se balader, malgré cette saleté de lumière et la pluie qui encombre tout, et il a la conviction d’à quel point l’usine, il n’ira jamais, ni ici, ni aucun pays, parce que de toute manière ailleurs tout est pareil.  

Et il va nous le dire, oui, fidèlement au très beau monologue sans points de Koltès ici adapté par Roger Davau. La mise en scène est sobre, dépouillée. Elle laisse lumière sur la performance sensible de Christophe Hatey, dont la voix semble faite pour faire entendre avec justesse la grâce de la colère de ceux, qui, chassés de la lumière des réverbères par le chaos du monde, survivent.

Et on va l’écouter.

La nuit juste avant les forêts
Théâtre de La croisée des chemins
De Bernard-Marie Koltès
Avec Christophe Hatey
Mise en scène Roger Davau
120 bis rue Haxo, Paris 19e

Jusqu’au 8 mai 2022
Les dimanches à 19 h et les jeudis à 21 h

Réservations

Photo de couverture : © Fabien Berthelin